Bissandougou. Ce nom devrait résonner comme un tambour sacré dans chaque cœur guinéen. Ce nom devrait être un cri de fierté, une balise d’histoire, un sanctuaire de mémoire. Et pourtant, il n’est plus qu’un écho lointain, étouffé par le silence coupable d’un État qui détourne le regard, alors même qu’il foule, sans remords, les cendres de sa propre grandeur.
C’est ici que l’Almamy Samory Touré, figure tutélaire de la résistance africaine, érigea le cœur battant de son empire. Ici, il pensa, décida, résista. Ici, il traça des frontières invisibles que les fusils des colons ne réussirent jamais à effacer entièrement. Bissandougou n’est pas un simple site. C’est un serment historique. Une promesse faite à la postérité. Un acte de bravoure gravé dans la terre.
Mais aujourd’hui, ce lieu sacré est laissé à la merci du vent, de l’oubli, et de l’indifférence la plus glaciale.Le vestibule de Samory, pourtant témoin des plus hautes délibérations de l’empire, s’effondre sous le poids de l’abandon. Le cimetière des colons, lieu symbolique où la conquête trouva ses limites, n’a pour visiteurs que les herbes folles. La mare sacrée de Saranken, autrefois vénérée, se noie dans l’indifférence générale.
Et que dire des trois fromagers mystiques, gardiens silencieux d’une spiritualité ancestrale, que l’on regarde aujourd’hui comme de simples arbres sans âme ni histoire ?Ce n’est pas une négligence. C’est une mutilation de l’identité nationale.
C’est un acte de sabotage culturel. Car dans une époque où les nations se redressent à la force de leurs racines, où les peuples reconstruisent leur fierté sur leurs héros, la Guinée choisit d’oublier l’un des plus grands. Comment expliquer cette amnésie collective ? Comment justifier cette trahison d’État ?Le plus révoltant, c’est qu’il ne s’agit pas seulement de mémoire. Il s’agit aussi d’avenir.
Car Bissandougou pourrait être un phare. Un pôle touristique majeur. Un lieu de pèlerinage intellectuel et culturel. Un centre de recherches historiques. Une terre vivante qui inspire, qui instruit, qui élève. Il suffirait d’un peu de volonté, d’un peu de vision, d’un peu d’amour pour cette terre et ce qu’elle représente. Mais cela semble être de trop demander à ceux qui se prétendent garants de notre culture.
On parle de développement, de rayonnement, de diplomatie culturelle. Mais comment rayonner à l’extérieur quand on s’éteint de l’intérieur ? Comment parler de grandeur nationale quand on laisse pourrir les piliers mêmes de notre histoire ? Le Sénégal a Gorée. Le Mali a Tombouctou. Le Bénin fait revivre Ouidah. Et nous ? Nous laissons Bissandougou mourir. Nous regardons ailleurs.

Comme si l’oubli était devenu une politique d’État.Et pendant ce temps, les jeunes ignorent. Les anciens pleurent en silence. Et les racines se dessèchent.Il est temps de dire non. Non à l’effacement. Non à la résignation. Non à l’oubli stratégique. Bissandougou doit revivre. Pas seulement pour honorer Samory.
Mais pour que la Guinée se respecte. Pour que nous puissions dire à nos enfants : voici d’où vous venez, et voici ce que nous avons préservé pour vous. Car une nation qui tourne le dos à son passé se condamne à errer sans boussole dans l’avenir. Et il est grand temps que la Guinée cesse de marcher dans l’ombre de sa propre histoire.
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