Comment un enfant choyé, issu d’une famille aisée de diamantaires, a-t-il pu se retrouver à la tête du gang le plus tristement célèbre de l’histoire de la Guinée ? C’est la question qui a toujours plané au-dessus du nom de Ibrahima Kalil Sylla, plus connu sous le pseudonyme de « Kalil Le Général ».
Né en 1967 à Conakry, il semblait pourtant destiné à un tout autre destin, bercé par l’amour inconditionnel de sa mère et la fortune de son père. Mais sa vie a pris un virage brutal, loin des valeurs familiales, vers les ruelles sombres et dangereuses du grand banditisme.
Son histoire commence sur les terrains de football de Bonfi. C’est là, au milieu des jeunes passionnés du ballon rond dans les années 1990, qu’il rencontre Mamadouba Camara “Léré” et Chérif Cissé.
À l’époque, loin d’être le criminel endurci qu’il deviendra, il se contente de petits délits non armés : vols de motos et de réfrigérateurs, en compagnie de son ami Moustapha Daleb Sylla.
Cette première incursion dans l’illégalité s’achève par une arrestation et une humiliante apparition à la Radiodiffusion Télévision Guinéenne, en 1992. Ce premier contact avec la justice, loin de le dissuader, marque en réalité le point de départ de son ascension criminelle.
Après cet épisode, son amitié avec Chérif Cissé se renforce. Les deux hommes deviennent inséparables, naviguant entre Bonfi et Hafia. C’est lors d’une de ses visites chez Chérif que Kalil croise la route d’un voisin redouté : Djibril Koly Koné, alias « Zizi ». Son nom seul glaçait le sang des habitants. Invisible le jour mais impitoyable la nuit, croiser Zizi après 22 heures, c’était risquer de prendre une balle.
Sous sa tutelle, Kalil apprend les ficelles du métier : planification des opérations, maniement des armes de guerre, stratégies de fuite. Peu après, un drame survient : Chérif est lynché à Kénien lors d’un braquage qui tourne mal, malgré les tirs désespérés de Zizi pour le sauver. Cet événement scelle le destin de Kalil.
Physiquement, il n’avait ni la carrure de « Chaud Chaud », ni la ruse de Papa Sangaré, ni la cruauté de Zizi. Mais il possédait une qualité inattendue chez un criminel : un sens profond du partage et un amour sincère pour ses proches. La seule chose qu’il ne donnerait jamais, c’était son âme. Cette générosité forgea autour de lui une véritable armée, unie par une loyauté indéfectible. Parmi ses hommes :
Vegas, son adjoint et bras armé.
Mathias, son défenseur acharné.
Ben Malifa, son “frère d’une autre mère”.
Bruno, son pourvoyeur en munitions.
Ensemble, ils mènent des opérations audacieuses : braquage d’un laboratoire photo, de la pharmacie Sacko à Dixinn, et de la boutique des Indiens à Madina. Mais leur train de vie soudainement luxueux attire l’attention : motos neuves, vêtements de marque, belles conquêtes, sans emploi apparent.
Les vols se transforment en meurtres à partir de 1994, la plupart commis par Mathias. L’attaque d’une station-service à Boussoura et d’une boutique indienne, marquée par un déluge de tirs, pousse les autorités à intensifier leurs recherches. Des dénonciations conduisent à l’arrestation de Yady Touré, dit Liman, puis à une chasse à l’homme contre Mathias et Vegas, qui réussissent à s’enfuir. Finalement, Kalil et Ben Malifa sont arrêtés au marché de Yimbaya, en compagnie de Fatoumata Camara.
Dans la nuit du 28 au 29 décembre 1994, après des séances de torture selon certaines sources, Kalil, brisé, finit par coopérer. Il accompagne l’escadron pour arrêter les autres membres : Léré, Dallas, Yannick Stopira, Mohamed 5, entre autres.
Le 29 décembre après-midi, ils sont présentés à la RTG, dans une vidéo qui restera l’unique trace visuelle de Kalil vivant. Le soir même, ils sont enfermés dans une cellule noire. Le 1er janvier 1995, à l’aube, un spectacle macabre attend les gardiens : de nombreux corps sans vie gisent dans la cellule.
Ainsi s’achève la vie de Kalil Le Général, fils du diamantaire, chef de gang respecté par ses hommes, et dont la fin tragique reste gravée dans l’histoire criminelle et judiciaire de la Guinée.

Par Ibrahima Sory Sacko