« Ce communiqué du ministre de la Fonction publique fragilise l’autorité du décret et ouvre la porte à l’arbitraire administratif. »
Dans un État de droit, le fonctionnement de l’administration repose sur un principe fondamental : la soumission de l’administration à la légalité. Autrement dit, toute autorité administrative, y compris un ministre, ne peut agir que dans le cadre fixé par la loi et les règlements.
Elle est tenue de respecter les actes pris par une autorité supérieure, notamment ceux du Président de la République lorsqu’il agit par voie de décret.
Or, le décret présidentiel est un acte réglementaire de portée générale et obligatoire, dont la valeur juridique est supérieure à celle des actes émanant des ministres. C’est dans ce contexte que l’on doit apprécier avec rigueur le communiqué du Ministre de la Fonction publique et du Travail, en date du 8 juin 2025.
UNE INITIATIVE MINISTÉRIELLE EN CONTRADICTION AVEC LE DÉCRET PRÉSIDENTIEL
Par ce communiqué, le Ministre de la Fonction publique et du Travail, à travers son Directeur général de la Fonction publique, a déclaré les journées du lundi 9 juin et du mardi 10 juin 2025 comme étant « exceptionnellement » fériées, chômées et payées, au lendemain de la fête de Tabaski.
Cependant, une telle décision soulève de sérieuses interrogations quant à sa légalité. En effet, le décret D/2022/0526/PRG/CNRD/SGG, modifiant celui du 1er août 1995 relatif aux fêtes légales en République de Guinée, énumère de façon exhaustive les fêtes légales, fériées, chômées et payées dans les secteurs public, privé et mixte. L’article 1.8 y inclut la fête de Tabaski.
De plus, l’article 2 du décret prévoit une exception spécifique, pour d’autres fêtes, qui bénéficient de jours fériés pendant les jours ouvrables qui suivent lorsqu’elles coïncident avec un jour non ouvrable. La fête de Tabaski ne fait pas partie de ces exceptions. Dès lors, l’acte du ministre, qui vient créer de nouvelles journées fériées en dehors du cadre fixé, semble manifester une violation claire du décret en vigueur.
SUR L’INCOMPÉTENCE DU MINISTRE ET L’ILLÉGALITÉ DU COMMUNIQUÉ
À la lecture attentive du décret précité, aucune disposition n’autorise le Ministre de la Fonction publique à déroger à la liste fixée ni à créer de nouvelles journées fériées. Il ne s’agit donc pas d’une interprétation mais bien d’un excès de pouvoir, au sens du droit administratif.
Même si le communiqué se veut exceptionnel, il n’en demeure pas moins un acte réglementaire qui modifie implicitement un décret présidentiel. Or, en vertu du principe de la hiérarchie des normes, un acte administratif inférieur ne peut ni modifier ni suspendre un acte supérieur, sauf habilitation expresse. En l’absence d’une telle délégation de compétence, l’acte du ministre est juridiquement entaché d’illégalité.
Cette dérive, bien qu’apparemment mineure, sape les fondements de la légalité administrative. Elle constitue un précédent dangereux, en ce qu’elle installe un pouvoir discrétionnaire illimité aux mains des ministres, au mépris des procédures légales.
QUELLE SOLUTION DANS LE RESPECT DE LA LÉGALITÉ ?
Certes, on peut comprendre que, sur le plan socioculturel, accorder deux jours de repos supplémentaires après la Tabaski peut sembler opportun et légitime. Mais l’administration ne peut se fonder sur des considérations d’opportunité pour contourner les textes juridiques en vigueur.
La solution institutionnelle réside dans la modification du décret présidentiel. Il reviendrait au Président, par voie réglementaire, d’étendre la portée de l’article 2 pour y inclure explicitement la fête de Tabaski parmi les événements donnant droit à des jours fériés additionnels. Une autre option consisterait à insérer une clause de délégation expresse permettant au ministre compétent d’adapter, par arrêté, la liste des jours fériés selon les années.
À défaut d’une telle révision, les ministres devraient se limiter à appliquer les textes, et non les compléter de manière autonome. C’est ainsi que se préservent la cohérence normative, la sécurité juridique, et le respect du principe de légalité qui fonde l’État de droit.
Par Moussa Adam’s Kandé, jeune juriste.